Conseils en psychothérapie – femmes victimes d’incestes, analyse de 59 cas

inceste pere fils

Distorsions Du Milieu Thérapeutique Dans La Psychothérapie Des Patients Victimes D’inceste

Objectif

Décrire les distorsions du milieu thérapeutique dans la psychothérapie des patients victimes d’inceste.


Méthode

Nous décrivons une série de cas de 59 femmes victimes d’inceste, et nous résumons la bibliographie actuelle sur la question du transfert et du contre-transfert dans la prise en charge de ces patients.


Résultats

Il y a peu de recherches sur la question du transfert/contre-transfert chez ces patientes.
Nous avons identifié quatre types principaux de contre-transfert (CT), qui ne sont pas exclusifs :
– Le CT vicariant dans lequel le thérapeute assume une attitude négative des parents absents, donne de l’affection, et est toujours enclin à apaiser les angoisses, la peur et les sentiments de culpabilité.
– Le TC du sur-moi, qui vise à punir l’agresseur sexuel, en oubliant parfois les besoins et les revendications de la victime.
– Le TC maternel négatif, dans lequel le thérapeute rend la victime responsable de la perturbation de la famille.
– Le TC parental négatif, dans lequel la figure du père est perçue comme absente, menaçante, séductrice ou insouciante des besoins de sa fille.
Le sexe du thérapeute et l’approche thérapeutique influencent l’approche de ces patients.

Introduction

En étudiant la casuistique générale des abus sexuels sur les enfants et les adolescents au cours des cinq dernières années à l’unité de santé mentale de l’hôpital d’Ancud, au Chili, j’ai recueilli 59 cas de femmes chez qui l’abus sexuel était incestueux, dont la description a donné lieu à plusieurs études. Le sujet de l’abus sexuel dans l’enfance, incestueux ou non, a fait l’objet d’innombrables publications étant donné la relation significative entre cet antécédent et divers tableaux cliniques psychiatriques chez l’adulte.
Il a été suggéré que les atteintes à la personnalité sont plus graves chez les femmes victimes d’abus sexuels intrafamiliaux, même si certains auteurs remettent en question cette conclusion. D’autre part, bien que les études descriptives de la population affectée se soient multipliées, la littérature spécialisée ne contient que peu d’informations sur les lignes directrices psychothérapeutiques recommandées et les difficultés intrinsèques du travail de réhabilitation avec les victimes.

Un aspect qui nous semble particulièrement pertinent dans la psychothérapie de ces cas est celui des sentiments et des attitudes contre-transférentielles de l’équipe qui s’occupe de ces patients, bien qu’il soit rarement mentionné. Ils permettent de mieux comprendre, et bien souvent de confirmer l’abus, ainsi que de mieux répondre à l’offre transférentielle qui nous arrive parfois de manière inattendue.
Nous avons mis l’accent sur la sélection des témoignages et nous reconnaissons plusieurs angles morts, certains dus au sexe du thérapeute, prenant rapidement parti pour les victimes. En d’autres termes, nous avons été amenés à chercher par tous les moyens à punir le coupable, mais nous nous rendons vite compte que les coupables sont parfois nombreux : le père, la mère, un cousin, un agent de santé qui n’a rien fait, un autre de la police qui n’a pas voulu intervenir…

Si nous nous penchons trop sur l’accueil de la victime, nous pouvons tomber dans l’abîme de la victimisation, mais si nous cessons de le faire, nous tomberons dans les réactions transférentielles négatives, gênantes mais compréhensibles, dues à notre froideur et à notre détachement affectif supposés. Comme si ces risques ne suffisaient pas, dans ces deux situations indésirables, nous pouvons rencontrer des actions dangereuses de la part des acteurs, notamment des victimes, depuis les érotisations  dans le transfert jusqu’aux abandons thérapeutiques et aux fuites. En outre, les proches eux-mêmes peuvent osciller entre le sentiment que nous sommes leurs meilleurs alliés et le fait de nous traiter comme des intrus et des destructeurs de foyers.

Tout cela nous amène à soutenir avec d’autres auteurs, que le professionnel qui, dans ces cas, s’occupe quotidiennement des aspects les plus abîmés du fonctionnement humain, risque en permanence de perturber leur équilibre émotionnel, car il s’agit de situations dans lesquelles les adultes, au lieu de protéger et de soutenir, ont exercé leur autorité et leur force avec un maximum de violence sur leurs petites filles. Le traitement de ces aspects traumatiques exerce une pression négative sur la conceptualisation humaine de la vie.

Le contenu de l’étude clinique

Le contenu original de la présentation a été obtenu à partir d’une étude clinique rétrospective de 59 femmes ayant des antécédents d’abus sexuel incestueux dans l’enfance ou l’adolescence par un membre masculin du foyer familial. L’acte incestueux a été défini comme toute approche physique avec des intentions sexuelles entre un homme adulte (18 ans et plus) dans le ménage de la fille : père, beau-père, frère, oncle, cousin, grand-père.

La méthode d’entretien consistait en un entretien psychiatrique clinique, un examen mental habituel et, dans certains cas, des tests psychologiques ont été appliqués, tels que : le test de Rorschach, le test du chat, le test projectif de dessin de figure humaine Machover.

Dans les 59 cas, la fourchette d’âge au moment de la commission de l’inceste variait de 3 à 26 ans, avec un âge moyen de 10,6 ans, avec deux pics, l’un entre 6 et 8 ans (19 cas) et le second entre 12 et 14 ans (17 cas), nous avons constaté qu’il y avait 9 enfants incestueux et un avortement.  L’auteur masculin de l’acte incestueux s’est avéré être le père dans 21 cas, le beau-père dans 14 cas (60% était la figure paternelle) et d’autres parents dans 24 cas. Dans un cas, l’enfant a été abusé par plusieurs membres de la famille simultanément ou successivement.

La durée de la relation incestueuse allait d’une seule fois (7 cas), à un an (22 cas), de 2 à 6 ans (23 cas), de 7 à 12 ans (7 cas), la durée moyenne étant de 2,8 ans.

Psychothérapie utilisée

La psychothérapie choisie dépendait de l’âge de la victime et de la situation clinique qui motivait la consultation :

a) Intervention de crise avec un travail familial psychosocial pour les cas de jeunes filles présentant une proximité temporelle d’abus sexuels et dans les cas d’adolescentes hospitalisées après une tentative de suicide ;
b) Psychothérapie individuelle intégrative brève dans les cas de symptômes dépressifs, anxieux ou phobiques réagissant à la situation abusive et aux différents problèmes sociaux séquentiels ;
c) Psychothérapie intégrative individuelle prolongée, cas avec une plus grande déstructuration de la personnalité ;
d) Psychothérapie de groupe, groupes fermés de 10 à 12 membres pour les cas d’adolescentes souffrant de graves troubles du contrôle des impulsions, avec une réunion tous les quinze jours pendant six mois.
e) Un autre type de groupe ouvert pour des cas de femmes adultes présentant des lésions somatoformes et une dépression chronique, des abus incestueux avaient eu lieu lorsqu’elles étaient enfants, cette modalité qui a commencé à se réunir toutes les semaines et qui est actuellement bimensuelle, réunit entre 10 et 15 personnes, plusieurs des patientes sont devenues monitrices, car bien qu’elles se sentent asymptomatiques, elles aiment venir et aider les nouveaux membres.

Vignettes cliniques (victimes et agresseurs)

DISCUSSION DU MATÉRIEL CLINIQUE ÉTUDIÉ

Nous prendrons les aspects qui rendent compte d’un profil psychosocial des acteurs et qui provoquent plus directement notre réponse contre-transférentielle comme on peut le percevoir en passant en revue les témoignages, car comme il a été souligné dans la littérature « le réseau complexe d’interactions dans le couple incestueux se répète dans le transfert « .

Les abus sexuels incestueux entre père, beau-père et fille étaient fréquents et étrangement tolérés grâce à une sorte d’acceptation familiale passive avec cécité-sourdeur-maladie psychique maternelle, car il y avait rarement une dénonciation. Dans notre casuistique, une moyenne de 17 ans devait s’écouler avant la confession et la dénonciation.

Nous pouvons élaborer un profil de l’agresseur, une figure paternelle qui s’impose et domine la vie intrafamiliale, abusant souvent sexuellement de toutes les filles et femmes de la maison, bien que certains prétendent être tombés amoureux d’elle comme Oscar et Claudio, les autres obtiennent la soumission sexuelle de la fille au moyen de diverses extorsions et menaces ; parfois cela se produit au milieu de crises alcooliques, dans des comportements révélant une plus grande psychopathie, une découverte dans la casuistique de Lukianowicz.

 Dans plusieurs cas de notre casuistique, l’agresseur et la victime avaient formé un vrai couple avec des enfants communs qui a duré jusqu’à 12 ans, souhaitant continuer à vivre ainsi, donc la dénonciation a déstructuré le foyer, et l’équipe de santé a été ressentie comme hostile. Nous parlons d’une maternalisation précoce des filles, assumant non seulement le travail à la maison et dans les champs mais remplaçant aussi la mère au lit, selon notre casuistique et l’opinion de plusieurs auteurs. Il nous semble donc que la plupart de ces filles vivent en proie à une peur et à un stress chroniques, essayant souvent de maintenir un rôle parental qui les conduit à être hyper vigilantes, interrompant le développement cognitif et relationnel normal.

TRANSFERT ET CONTRE-TRANSFERT

Si le transfert et le contre-transfert sont un thème central de toute relation thérapeutique, il revêt une nuance particulière dans ces cas d’inceste, peut-être parce que, comme le souligne Ganzarain, « ils avaient brisé un tabou, nous ne pouvions rester indifférents à une telle transgression « .

Nous verrons ce qui s’est passé dans les sentiments de l’équipe de santé et dans les attitudes des patients tout au long des entretiens et de la psychothérapie. Nous séparerons les observations en fonction du sexe du professionnel car nous pensons, avec Shay, que le sexe du thérapeute qui s’occupe du patient induit de tomber dans plusieurs angles morts et contre-actions, les situations qui ne sont pas seulement inévitables mais toujours présentes dans toute psychothérapie.

Nous indiquons plusieurs réponses contre-transférentielles qui peuvent se produire de manière dissociée ou simultanée et/ou séquentielle dans la même relation thérapeutique, représentant certains des rôles induits par le transfert dans un scénario joué du drame familial proche du concept de CT complémentaire de Racker. Ce sont les suivantes :

Cas 1 : Ce sont de jeunes filles qui arrivent en thérapie qui ont besoin d’un accueil très rapide, efficace et chaleureux, en apportant un soutien émotionnel avec des excès évidents dans l’engagement du personnel.  Avec un système parental absent ou inexistant, l’équipe assume une attitude de soutien inconditionnel. Nous appelons cette modalité le CT vicariant, les sentiments contre-transférentiels naissent du maternel, de  » l’atmosphère maternelle “, une femme (mère-thérapeute) cherche à accueillir, calmer, soigner et protéger une autre femme victime, fille, adolescente ou femme adulte dont la dignité et l’intimité ont été atteintes, qui a probablement été abandonnée ou laissée à la libre vulnérabilité des agresseurs masculins.

Cas 2 : Dans la grande majorité des cas, nous oscillons en nous faisant l’interprétation de la société qui devrait juger et punir le coupable, en nous identifiant cette fois à un Sur-moi capable d’être normatif et sévère. Il nous est difficile d’être impartiaux, nous préférons donc ne pas traiter l’agresseur si le tribunal le demande et nous sommes réticents à participer aux expertises demandées par le bureau du défenseur public, non sans certains risques.
Un des dangers de cette modalité de CT du sur-moi  est de négliger les sentiments et les souhaits de la victime.

Cas 3 : L’identification au violeur en brisant la barrière du silence et du secret, certes on ne force pas mais on séduit, mais dans ce cas il s’agit d’une pénétration phallique de l’intimité endommagée par un traumatisme sexuel depuis l’enfance et hautement défendue. Il s’agit de cas dont les informations pertinentes nous sont parvenues soit lors de l’anamnèse, soit, le plus souvent, des mois plus tard lors du travail psychothérapeutique. L’attente de matériel de confirmation pour combler les lacunes et les mystères, par exemple, d’états dépressifs récurrents ou de diverses affections psychosomatiques sans explication très claire, a été longue et ardue. « C’était donc ça », s’exclame-t-on tranquillement. Le cas devient plus transparent pour nous, nous cessons de lutter contre ce qui résiste et une relation de couple thérapeutique s’installe avec la sensation très particulière d’avoir « pénétré » dans l’intimité de leur secret. Cette situation place surtout le thérapeute masculin dans une répétition sublimatoire de la violation sexuelle réelle effectuée par le père du sujet, il y a longtemps, parfois 50 ans. Cette situation, que nous pourrions techniquement appeler un contre-acte sublimatoire, peut devenir réparatrice et curative. Les patients parviennent finalement à établir une relation affective de grande proximité avec le thérapeute, un agent stable et fiable.

Cas 4 : L’érotisation de la relation thérapeuthique. Elle se produit avec quelques victimes qui ont érotisé la relation incestuelle qu’elles ont subi.
Cette érotisation envahit la relation thérapeutique et place le thérapeute qui ne se doute de rien dans une situation difficile. Soit il se défend, en rejetant d’emblée ce que le patient est en train de faire et ce qu’il lui fait ressentir, provoquant culpabilité et honte ; soit au contraire, s’il laisse l’exposition érotique transférentielle se poursuivre, on peut atteindre un point de danger où une interprétation correcte et opportune peut éviter cette mauvaise issue. Ce sont des filles qui se présentent avec des gestes, des postures corporelles coquettes, un maquillage excessif pour leur âge, c’est-à-dire quelque chose que Nabokoff a décrit magistralement dans sa Lolita. Séduire sexuellement l’homme objet thérapeute est la clé transférentielle pour être accepté, ne pas être maltraité, être pris en compte. Lijtmaer se demande quels sont les signes à prendre en compte pour confirmer le transfert érotisé

Il doit y avoir une certaine forme d’érotisation éveillée devant des objets transférentiels, non seulement à cause de la question de l’apprentissage comportemental déjà mentionnée, mais aussi à cause des stimuli traumatiques sexuels jamais complètement évacués et bien disposés à se répéter comme le souligne Berkowitz.

Cas 5: d’autres formes de réponses transférentielles/contre-transférentielles parentales négatives sont données par une réponse transférentielle en accord avec l’expérience traumatique réelle :
            1) L’objet maternel ne veut pas voir, ne sait pas comment aider, est insouciant, accuse, maltraite, c’est-à-dire est absent, n’est pas là quand il le faut.
            2) L’objet parental a été violent, séduisant et violent.
Ce sont ces figures parentales « qui ne font pas ce qui doit être fait et qui font ce qui ne doit pas être fait », dit Baranger. Retrouver la confiance est donc, pour le moins, une mission quasi impossible. Il n’est pas surprenant que ces filles passent souvent à l’acte, mettant à l’épreuve la résistance de la relation et la permanence du soutien, manquant des séances, tombant dans de nouvelles crises d’alcool, de drogue, d’automutilation et de tentatives de suicide.

Parmi les sentiments contre-transférentiels rapportés par d’autres auteurs, citons : les fantasmes de sauvetage, la tristesse extrême, le discrédit, la rage contre l’agresseur, le dégoût, la confusion, la dissociation, la culpabilité, la honte, le pardon prématuré, l’identification à l’agresseur, l’éblouissement, les sentiments sexuels envers la victime, qui offrent tous une fenêtre sur l’expérience non communicable des membres de la famille par des voies directes. Nous avons partagé plusieurs de ces sentiments.

Cette question théorique clinique du contre-transfert comme outil de travail en psychanalyse a été largement travaillée par Henrich Racker et, par la suite, Horacio Etchegoyen dans un des chapitres de Les fondements de la technique psychanalytique discute la proposition de Money-Kyrle sur le soi-disant « Contre-transfert normal », une situation dans laquelle « l’analyste assume un rôle parental, complémentaire à celui du patient » ou « des rôles réciproques « .
Bien que Stukenberg souligne que chez ces patients, il y a une suridentification et un évitement de la figure du thérapeute, qui est ressentie comme une figure d’autorité à tous égards similaire au paternel, nous pensons qu’il existe une différence intéressante, du moins dans notre travail psychothérapeutique : l’identification ne semble pas se faire avec les objets parentaux de la réalité du patient tant défaillants, mais avec ceux qui ne l’étaient pas, avec les idéaux, avec les absents ; c’est-à-dire que nous pourrions appeler cette modalité le contre-transfert vicariant, le thérapeute assume des sentiments et des attitudes parentales opposés à ceux des vrais parents, qui, même présents, n’ont pas rempli leur devoir de protection et d’amour envers leur fille.

Conclusion

Nous soulignons que la relation transférentielle-contretransférentielle est un élément d’une importance capitale, tant sur le plan de diagnostic que pour dimensionner la réalité mentale de ses patients, ils sont si atteint dans leurs relations avec leurs objets œdipiens. Ces phénomènes de la relation thérapeutique sont une fenêtre ouverte sur le traumatisme sexuel, sur l’expérience qui ne peut être communiquée par d’autres moyens, et constituent un outil thérapeutique permettant d’orienter plus adéquatement les interventions psychothérapeutiques.

 Nous avons trouvé quatre formes principales non exclusives de contre-transfert :

a) le TC vicariant, identification à des figures parentales idéales, opposées aux figures réelles ;
b) le TC du sur-moi, identification à une structure éthique-morale qui n’existe pas dans la famille réelle ;
c) le TC maternel négatif, proche de la figure maternelle absente, indifférente, niant, accusant ;
d) le TC parental négatif, s’identifiant sur différents aspects de l’agresseur sexuel.

La différence de genre du thérapeute favorise des différences très particulières dans la relation transférentielle. Bien que les quatre formes de CT puissent être ressenties, ce qui arrive au thérapeute face au comportement d’acting out des patients devient plus important étant donné un fort courant transférentiel qui imagine le thérapeute comme une figure mère-père peu fiable, qui ne fait pas ce qui doit être fait et fait ce qui ne devrait pas être fait.

Etudes de Jacobo Numhauser ( psychiatre) et Paula Soto (Psychologue clinique )

Traduction de courtoisie par Marion Soisson depuis SciELO

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