Violences sexuelles et sexistes

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Le Caractère Sexiste De La Violence Sexuelle À L’égard Des Garçons

Violences sexuelles et sexistes

[1] Chaque année, l’ampleur et les répercussions de la violence sexuelle sont davantage reconnues. Même si les femmes et les filles représentent le plus grand nombre et la plus importante proportion de victimes de sévices sexuels à l’échelle mondiale, il est de plus en plus évident que ce type de violence concerne aussi les hommes et les garçons.

La sensibilisation concernant la prévalence et les conséquences des agressions sexuelles à l’égard des garçons connaît une nette croissance. Environ 5 à 10% des garçons à l’échelle mondiale indiquent avoir subi des sévices sexuels pendant leur enfance, ce qui représente environ 73 millions de garçons en une année (2002). Comme pour les filles mineures victimes de violences sexuelles, il est possible que ces taux de prévalence mondiaux soient inférieurs à la réalité puisque ces événements ne sont pas toujours signalés: dans les milieux développés, où les signalements sont généralement plus importants, le taux de prévalence cité le plus souvent est d’1 garçon sur 6 (environ 17%). La majeure partie des agresseurs sexuels sur des garçons sont, comme pour les filles, de sexe masculin, même s’il semble qu’une proportion plus importante des cas chez les garçons résulteraient de sévices perpétrés par des femmes.

La violence sexuelle en tant que violence sexiste : à l’égard des femmes et des filles…

Une grande partie des violences sexuelles à l’encontre des femmes et des filles, que ce soit en situation conflictuelle ou non-conflictuelle, sont désormais reconnues comme étant un type de violence sexiste : autrement dit, tout acte commis contre la volonté d’une personne et fondé sur son sexe et/ou son rôle en tant qu’homme ou femme au sein de la société. Même si les sévices sexistes sont quasiment toujours basés sur l’identité sexuelle de la victime, de telles violences permettent également de définir l’identité sexuelle de l’agresseur. Chaque élément de l’équation possède donc une caractéristique sexiste. La violence sexiste sert à établir, maintenir et renforcer des hiérarchies de pouvoir et de statut, à la fois entre des personnes de sexes opposés mais aussi de même sexe. Il est globalement reconnu que les agressions perpétrées par des individus de sexe masculin (hommes et garçons compris) contre des femmes, quel que soit le contexte immédiat, sont marquées par des schémas de domination masculine; elles transmettent et perpétuent des modèles sociaux patriarchaux; elles sont synonymes de relations de pouvoir inégales entre les concepts sexistes de masculinité et féminité, entre les hommes et les femmes, et se reflètent aux niveaux individuel, relationnel, culturel, institutionnel et politique. Cette situation s’applique tout autant aux actes sexuels commis à l’égard des jeunes filles, même si de tels sévices dépendent aussi du pouvoir hiérarchique des adultes sur les enfants et des multiples vulnérabilités associées à l’enfance.

… et à l’égard des hommes et des garçons

Bien que l’on parle plus souvent de violence masculine à l’égard des femmes et des filles, il est reconnu que les hommes et les garçons souffrent également de violences basées sur leur appartenance sexuelle et souvent perpétrées par d’autres individus de sexe masculin. Les actes violents perpétrés par des hommes contre d’autres hommes représentent un mécanisme décisif pour établir, renforcer et protéger leur propre identité masculine: c’est par la violence et l’agression que les auteurs de tels actes se distancient non seulement des femmes mais aussi des hommes qu’ils percevraient comme « efféminés/féminins », y compris les homosexuels, les hommes aux orientations sexuelles non conformes et/ou ceux qui sont physiquement plus faibles. Ce type de violence sert aussi à établir, réaffirmer et protéger des différences de pouvoir entre les différentes masculinités – ces diverses façons de définir socialement la virilité dans les contextes historiques et culturels.

Les sévices sexuels perpétrés par des hommes sur des adultes de sexe masculin dans le contexte de conflits violents représentent la forme de violence directe envers les hommes la plus reconnue et se classifie comme sexiste. En effet, la majeure partie des violences de ce type visent ouvertement et explicitement à détruire l’identité masculine des victimes, à la fois au niveau individuel mais aussi familial/communautaire; elles visent aussi à réaffirmer les masculinités dominantes hétéronormatives et la hiérarchie masculine parmi les agresseurs. Dans des contextes non conflictuels tels que les environnements hyper-masculins de type prisons, armée, fraternités ou encore équipes sportives, les violences perpétrées par des hommes contre d’autres hommes et contre des hommes homosexuels sont également définis comme étant sexistes, leur but étant effectivement d’affirmer les hiérarchies masculines. L’inégalité fondamentale des femmes au cœur de ces formes de violence est d’autant plus évidente lorsque les agresseurs à travers le monde affirment qu’ils « réduiront » leurs victimes masculines au statut de femme. Dans de telles circonstances, il est évident que cette lutte pour la suprématie des identités sexuelles constitue le fondement des violences sexuelles visant d’autres individus de sexe masculin.

Les agressions sexuelles sur mineurs de sexe masculin sont pourtant rarement discutées en tant que forme de violence sexiste. Dans le cadre de conflits violents, certains sévices sexuels contre les garçons, tels que la castration de garçons prépubères ou le fait de forcer des enfants soldats à violer, sont de plus en plus acceptés en tant que violences sexistes. En revanche, dans des contextes non conflictuels, les agressions perpétrées sont généralement décrites dans un contexte non sexiste de « violence à l’égard des enfants » dans lequel le crime dépend de diverses vulnérabilités (physiques, économiques, sociales) associées à l’enfance; la nature sexiste de tels sévices n’est pas encore explicitement et largement reconnue.

La violence sexuelle à l’égard des garçons en tant que violence sexiste

Nous affirmons que la plupart des violences sexuelles sur mineurs de sexe masculin dans des cadres non conflictuels peuvent et devraient être considérées comme sexistes. Dans notre pratique clinique et à partir de récits de victimes adultes, nous avons noté deux motivations principales bien distinctes: la satisfaction sexuelle, et ce que l’on pourrait appeler «la reconnaissance masculine », autrement dit l’ensemble des sévices ayant pour but de détruire l’identité de la victime en tant qu’homme et dans lesquels l’activité sexuelle, qu’elle soit réelle ou symbolique, est une véritable arme contre la victime. Ce type de violence peut comprendre une satisfaction sexuelle pour l’(les) agresseur(s), mais l’humiliation en reste l’objectif principal. Ces deux motivations ont un élément en commun : elles reposent sur le suivi de concepts traditionnels de masculinité pour justifier leurs gestes à l’égard des victimes et le contrôle de celles-ci.

La reconnaissance masculine est particulièrement évidente lorsque de telles violences, qu’elles soient perpétrées par des hommes ou d’autres garçons, visent à affirmer la hiérarchie masculine, et à discipliner et punir des masculinités non-dominantes. Écoles, universités, institutions religieuses, orphelinats ou autres institutions de prise en charge publiques, centres d’incarcération, et groupes d’activité avec une hiérarchie bien définie font partie de ces cercles hiérarchiques. Dans de tels cadres, l’utilisation de la violence sexuelle pour établir une hiérarchie des sexes parmi les hommes est particulièrement évidente.

Au-delà des structures hiérarchiques, la victimisation des garçons peut aussi naître de discours dominants concernant l’identité sexuelle. Par exemple, il est possible que les garçons soient considérés comme étant des cibles d’agression « sûres » (ou « plus sûres ») en raison des normes sexistes concernant la masculinité et la victimisation qui font que les garçons (et les hommes) auront beaucoup plus de mal à dévoiler les actes de violence sexuelle dont ils auraient été victimes par peur d’être pris pour faibles ou homosexuels. Dans un autre ordre d’idées, certains agresseurs ecclésiastiques peuvent choisir des garçons car ce type de comportement semble moins immoral que l’agression de jeunes filles. Les garçons peuvent aussi être victimes de comportements sexuels abusifs perpétrés par des femmes et des filles : ces comportements dérivent de mythes sur la sexualité masculine qui décrivent les individus de sexe masculin, en particulier les jeunes adolescents, comme étant favorables à toutes expériences sexuelles; qui décrivent la virilité des hommes comme étant constante, et qui minimisent les effets des agressions sexuelles sur mineurs chez les garçons.

Pourquoi cela est-il important?

Il est important de reconnaître les aspects sexistes des violences sexuelles à l’égard des garçons car les solutions proposées pour répondre à ce type d’actes reflètent souvent elles-mêmes des préjudices sexistes. De manière générale, la violence sexuelle chez les garçons est moins reconnue que la violence à l’égard des jeunes filles; dans certains pays, le système légal n’offre parfois même pas de protection pour les garçons. Même pour les cas où les sévices sexuels sur garçons sont reconnus, bien des personnes pensent encore que l’expérience est moins traumatique pour les garçons que pour les filles, surtout si l’agresseur est une femme, même si le contraire est évident. Mieux comprendre les composantes sexistes des violences sexuelles à l’égard des garçons nous aidera aussi à mieux comprendre et répondre aux besoins des victimes qui ressentent un profond changement quant à leur perception de leur propre identité sexuelle. Il est important que les cliniciens et les autorités politiques comprennent les conséquences de la honte intériorisée, qui repose sur des discours traditionnels de masculinité, lorsqu’ils traitent et soutiennent les victimes masculines d’agressions sexuelles pendant l’enfance.

Savoir reconnaître les tendances sexistes des sévices sexuels à l’égard des garçons permet aussi de mieux comprendre l’expérience des femmes et des filles. Le caractère sexiste de la violence sexuelle contre les garçons peut émerger parallèlement aux sévices contre les femmes, comme par exemple au sein de structures androcrates qui imposent des contrôles extrêmes sur les libertés des femmes et leur sexualité par l’intermédiaire de la ségrégation, du mariage d’enfants, et des tabous relatifs au sexe avant le mariage – une situation dans laquelle les garçons deviennent des cibles sexuelles plus facilement disponibles et « féminisées ». De même manière, au sein des sociétés dans lesquelles le machisme est important, les agresseurs justifient la victimisation sexuelle (et la domination sexiste) des garçons transsexuels ou homosexuels de la même manière qu’ils justifieraient la victimisation (et la domination sexiste) des femmes et des jeunes filles : car « ils/elles aiment ça ».

Enfin, nous pensons que la reconnaissance du caractère sexiste des sévices sexuels contre les garçons est une composante importante des initiatives visant à mettre fin aux violences sexistes perpétrées par des hommes contre des femmes. En refusant de reconnaître et de discuter le caractère sexiste des violences sexuelles contre les garçons, on risque de suggérer que les violences sexuelles auxquelles ces derniers font face sont, d’une certaine manière, différentes des dynamiques de pouvoir sexiste, alors que de telles violences à l’égard des filles sont clairement symptomatiques de ces dynamiques. Toutefois, comme l’avait écrit Gary Barker :

« Les violences que subissent les hommes et les garçons au cours de leurs vies, qui fait elle-même partie de la patriarchie (un système qui non seulement justifie la supériorité des hommes par rapport aux femmes, mais qui donne aussi à certains hommes un sentiment de pouvoir par rapport aux autres hommes et empêche les hommes d’être les personnes qu’ils aimeraient être), sont clairement un facteur clé de la violence contre les femmes. Cela ne justifie en aucun cas la violence masculine envers les femmes et les filles… mais en continuant à ignorer la violence subie par les hommes et les garçons au cours de leurs vies, on ne peut que continuer à mettre en œuvre des solutions incomplètes pour mettre fin à la violence contre les femmes et les filles ».

Nous pensons qu’il est indispensable de reconnaître le caractère sexiste de la violence sexuelle dont de nombreux garçons sont victimes pour pouvoir permettre aux mineurs, filles et garçons, aux adultes, femmes et hommes, de se considérer mutuellement comme des alliés pour vaincre cette violence et pour mobiliser toutes les victimes de sévices sexuels pour pouvoir mettre fin à ces attitudes qui acceptent et pardonnent les violences sexuelles et sexistes. Des travaux de recherche supplémentaires sont nécessaires et comprennent les questions suivantes :

  • Dans quelle mesure l’exécution de la hiérarchie sexiste est-elle un motif pour les agresseurs?
  • Dans quelle mesure ces violences permettent-elles aux agresseurs d’affirmer leur masculinité?
  • Dans quels cas les femmes ont-elles le rôle d’agresseur?

[1] Jack Dalby et Rachel Hart travaillent avec des victimes de sexes masculin et féminin ayant subi des violences sexuelles à l’âge adulte et pendant l’enfance. En tant que conseillers, ils partagent à eux deux environ 25 ans d’expérience dans le domaine. (voir https://www.jarawyntherapy.com.au) Dr Wynne Russell est une chercheuse indépendante qui travaille depuis longtemps sur la violence sexuelle liée aux conflits chez les hommes et les garçons (voir https://independent.academia.edu/WynneRussell).

Article extrait de la revue Academia Letters, publiée en août 2021 – Jack Dalby, Jarawyn Therapy, Rachel Hart, Jarawyn Therapy, Wynne Russell, Jarawyn Therapy


Traduction de courtoisie par Sonia Erraud depuis Research gate

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