Reviviscences De Viols Par Inceste

art-thérapie et reviviscences

Prise En Charge Art-Thérapeutique

Maud est arrivée par l’intermédiaire du site « 13 or de vie » mettant en œuvre des ateliers d’art-thérapie pour les victimes directes ou indirectes des attentats de Paris. Elle a pris un nom d’emprunt et nous respecterons son anonymat d’autant que très vite, elle a expliqué sa présence aux ateliers par son lien avec une victime des attentats et, suite à ces événements, sa réactivation des viols par inceste subis. Comme l’association accompagne ces victimes dans « 13 or de vie » et les victimes de viols par inceste dans d’autres ateliers, Maud a demandé à venir le samedi matin et un atelier a été mis en place, pour elle, et des stagiaires, d’octobre 2016 à janvier 2017.

Notre étude vise à démontrer l’avantage de l’art-thérapie dans la reconstruction d’un être traumatisé, mais aussi l’effet à long terme qu’apporte cet outil pour permettre au patient de retrouver une autonomie relativement rapidement.

par Emmanuelle Cesari – Thyma 02/07/2017 Mémoires et travaux universitaires

1 – Une méthodologie art-thérapeutique pour les victimes

a) L’art-thérapie préventive pour éviter l’installation d’un conflit

Rappel pour les dix séances

L’art-thérapie préventive a sa place dans tous les moments de transition. Dans tous les cas, c’est le sujet qui prime et non sa production. Peu importe si le sujet ne produit rien de génial, pourvu qu’il aille mieux. C’est dans ce but qu’il est venu, non pour devenir artiste. (Jean-Pierre Royol)

b) Le modèle cathartique

Il va permettre au sujet de vider son sac dans une logorrhée défensive puis sera mis en place l’outil de création. La représentation sur le papier permet de cadrer, par le format de la feuille, de limiter par la concentration de la double tâche de raconter et dessiner, de gérer la coordination pensée – œil – main. Mais il est essentiel de retenir que ce processus n’est possible que si le thérapeute est capable de contenir la douleur de la participante et de l’accompagner dans sa recomposition sans marquer d’autorité, de supériorité et au contraire inscrire dans cette relation une forte notion de partage. « Le patient devient alors progressivement co-thérapeute de la dyade » (Mairesse, 2012).

c) Élaborer autour des événements subis

Victime indirecte de l’attentat du Bataclan, Maud exprime une réactivation des émotions mettant à jour un état de stress post-traumatique plus ancien, non pris en charge et non intégré. Cet événement traumatique en a donc ravivé un autre, en l’occurrence les agressions paternelles. Elle est dans un état de décompensation de l’après-coup.

d) La logique systémique

La famille de Maud s’occupe de la cousine victime du Bataclan mais personne n’a relevé le changement délétère chez Maud qui souffre de ses réminiscences. Maud n’allant pas bien depuis le Bataclan, n’exerce plus son métier de psychomotricienne auprès des enfants. C’est la raison pour laquelle elle éprouve le besoin d’une aide extérieure.

e) La stratégie du détour

La stratégie du détour est une pose de l’indication thérapeutique du cadre de telle sorte qu’on ne travaille pas dans un registre tabou, qu’on respecte les défenses, qu’on ne brutalise pas les symptômes, qu’on contourne les résistances, et qu’on élise une proposition dans le temps, l’espace, les règles du jeu, les acteurs en présence, qui puisse contribuer à mettre en scène les formes dessinées par les trois dimensions précédentes. (Jean-Pierre Klein)

2 – Le cadre thérapeutique de l’atelier d’art-thérapie

« C’est un espace transitionnel qui permet de favoriser la créativité et l’expression de chacun » (Winnicott)

Le cadre est un ensemble de règles, de limites, d’interdits, de normes, d’habitudes et d’attitudes, dispensés aux participants par le thérapeute afin de fournir un contenant pour les processus psychiques qui sont mis en jeu.

a) Les conditions spatiales et temporelles

Les ateliers ont eu lieu le samedi matin de 10 à 12 heures, toujours au même endroit, dans la même salle. Lors d’un atelier supplémentaire pour finir le joint de la mosaïque nous n’avons pas obtenu la même salle et Maud se sentira un peu perdue.

b) Les conditions matérielles et le choix du médium

Lors de l’entretien préalable, j’ai noté que Maud partait un peu dans tous les sens, sautait du coq à l’âne et revenait sur ce qu’elle avait évoqué précédemment. Ayant suivi auparavant, plusieurs participantes victimes de viols par inceste, je connais l’importance du cadre qui met en place une sécurité suffisante pour que le sujet puisse supporter l’inconfort du changement et s’engager dans un processus. Le processus lui-même provoque l’évolution des consignes, j’adapterai à chaque séance l’utilisation d’un médium ou d’un autre. Je commencerai par du collage papier pour intégrer ensuite différentes matières, puis pour arriver sur du solide, nous ferons un plateau de mosaïque.

c) Les conditions financières

Les ateliers sont offerts par la Fondation de France – dans le cadre de suivi des victimes directes ou indirectes des attentats de Paris – et Maud ne m’est redevable de rien.

d) Les conditions de stockage de la production

Maud cherche du travail. Elle ne veut plus demander d’argent à sa famille. Elle a donc du temps à consacrer à sa recherche de psychologue et d’ateliers d’art-thérapie. Maud emportera ses productions de manière à continuer à faire des recherches chez elle.

3 – Le déroulement de l’atelier

a) Temps d’accueil

Chacun s’installe, nous prenons un café, nous faisons le point sur les moments importants de la semaine écoulée.

b) Temps de production

La participante, les stagiaires et l’art-thérapeute peuvent échanger. Il est important d’observer que parfois il y a flux de paroles et parfois silence presque total.

c) Temps d’échange autour des productions

L’accent est porté sur l’aspect symbolique des productions, matière à échanges, associations d’idées et « symbolisation primaire et secondaire ». Sont pris en compte également les éléments transférentiels se jouant dans l’atelier, à tous les niveaux.

4 – Les objectifs de l’atelier

a) Les outils diagnostiques

L’auto-évaluation et la fiche ESPT – M.I.N.I. 500 – version française août 1995 :

Il y a des moments de dissociation et puis ma famille et le rapport avec la psychologue m’ont éteinte à nouveau, comme paralysée, replongée dans un déni partiel, coupée dans mon élan de début de libération et m’ont rendue à la fois désagréable, sur la défensive (m’identifiant à nouveau à mon père) et prête à exploser sans pouvoir le faire.

Constat de l’art-thérapeute lors de l’entretien préalable :

Lors de notre premier entretien, alors que Maud était lancée à grand débit de paroles, entrecoupées de petits rires nerveux, j’avais remarqué un clivage lorsqu’elle parlait de sa famille. Je n’ai pas poussé son discours car je savais que je ne disposerais que de dix séances donc qu’il m’était impossible de travailler sur une possible dissociation. Je note cependant quelques points sur lesquels je suis restée vigilante : élaborer sur le sentiment d’abandon de la participante ; gérer les transferts négatifs ; sortir des clivages ; gérer la dissociation ; réunir ses différentes facettes ; oser écrire, sortir du silence ; ne pas chercher à remplir les satisfactions des autres à tout prix ; vivre plus le moment présent et en profiter.

Informations recueillies sur les symptômes de l’État de stress post traumatique (ESPT) : Sachant que les attentats avaient provoqué chez Maud, une réminiscence de vécus infantiles difficiles, je l’ai invitée à me parler des symptômes de son enfance et ensuite de ceux actuels.

Tic de respiration forte étant enfant et autres tics corporels, masturbations compulsives, “jeux” sexuels avec d’autres enfants, mêmes cauchemars qui se répètent, problèmes à se représenter le contenu de lectures, au début de l’adolescence et après un déménagement apparition d’angoisses existentielles, impression de perte lexicale sémantique – « je regardais les définitions exactes dans le dictionnaire, comme si beaucoup de choses m’avaient échappées les années précédentes », inhibition intellectuelle et motrice), problèmes relationnels, difficultés mémorielles, de représentation et de compréhension qui pèsent sur la scolarité, problème de conscience corporelle, auto-mutilations, troubles alimentaires, dépressions, logorrhées, sentiment d’oppression.

Maud évoquera différents symptômes actuels qui la perturbent : reviviscences, état second, dissociation, peur, crises d’angoisse, sentiment de menace, de solitude envahissant, colère, irritabilité, méfiance, somatisations (vertiges, douleurs aux parties intimes, au cou, aux cuisses, pelades, douleurs au dos, au ventre), cauchemars avec reviviscences d’odeurs, de souvenirs sensoriels, mémoire altérée, déprime, asthénie, intellectualisation, besoin de contrôle, toc de vérification, de propreté, temporalité perturbée, spectatrice de soi-même, détachement de soi-même, problème de lien corps-psychisme.

Après recueil de ces informations, nous avons cherché à définir nos objectifs. J’ai pris en compte les siens afin de définir mes propres orientations.

b) Les attentes de la participante

Maud exprime le besoin de : pouvoir différencier ce qui émane de l’emprise des membres de sa famille de ce qui provient de ses envies ; mettre de la distance avec la famille ; pouvoir se protéger, pouvoir dire NON ; moins intellectualiser, lâcher prise, détecter les moments où l’effort prend le dessus, quand le cerveau sature ; sortir de l’isolement ; ne pas se laisser envahir par des tocs ; réaliser la confusion entre minimisation, le fait de relativiser, se contenter de telle ou telle chose et ce qui relève de la culpabilité ; réaliser la différence entre les conséquences qui découlent de l’ESPT sur la vie professionnelle, sociale, sentimentale et ce qui relève de ses propres envies qui dans l’urgence doivent faire coïncider les deux.

c) Les objectifs de l’art-thérapeute

En réponse aux besoins de Maud, l’art-thérapeute doit faire en sorte qu’elle pense à elle en priorité et passer outre la culpabilité qui s’ensuit ; l’aider à créer son propre cadre dans lequel elle se sent bien ; l’accompagner à sortir de l’emprise, reconstruire son indépendance, sa liberté ; encourager la poursuite de la réflexion pour sortir de la dévalorisation et se remettre en mouvement dans un quotidien nouveau.

Travailler sur la symbolisation dans ce cas de clivage :

Avec la prise en compte du passé de ma patiente et des traumatismes familiaux, il faut choisir minutieusement les outils. Le collage qui, d’après l’étude de Gérard Bayle (2012) permet aux enfants de s’identifier par incorporation aux parents, répond aux besoins de Maud.

Travailler avec l’émotion esthétique : C’est tenter de rendre visible l’invisible, tenter de dire l’indicible, guetter l’apparaître sous l’apparence… car l’essence même de l’art-thérapie consiste, entre autres, à extérioriser une émotion, une image, une vision, impossibles à verbaliser. En ateliers d’art-thérapie, je vais essayer de repérer cette émotion esthétique, de la faire approcher à Maud. L’émotion esthétique ressentie a une place dans le processus art-thérapeutique, parler, associer autour d’elle peut avoir des effets thérapeutiques sur la participante.

– Et d’une manière plus affinée répondre à l’objectif de fond de l’art-thérapie : Que le cadre pratique prenne moins de place et vienne soutenir la mise en place d’un cadre interne et que ces ateliers permettent de faire un état des lieux, une remise en mouvement et peut-être le début d’un travail de transformation et de différenciation générationnelle.

5 – Les améliorations

A l’issue de ces séances, l’art-thérapeute et la participante ont établi une liste des observations positives et négatives :

a) Au niveau cognitif

Le travail sur la concentration sur soi et donc éloignement de l’emprise familiale a été bénéfique ; en pratique, par rapport au dessin initial, Maud s’autorise à moins coller au modèle ; l’Interaction du groupe “je rajoute un morceau rouge parmi ces couleurs claires (ça me rappelle la touche noire parmi les rouges sur le support de la stagiaire)” ; les ateliers ont participé à une meilleure gestion du temps, à la redécouverte de prendre son temps, celui aussi de gérer la frustration, de n’avoir aucune obligation de résultat, d’apprendre comment modifier le chemin petit à petit à l’instar de la mosaïque, changer en restant la même.

b/ Au niveau comportemental qui persiste de l’état de stress post-traumatique

Les ateliers ont amené progressivement Maud à prendre conscience de sa dispersion et du problème d’estime de soi, illustrés par un peu de négligences d’apparence, corporelles (posture, attitude, soins du corps), de son sentiment de déracinement, de son hypersensibilité à la douleur d’autrui, des animaux… ; de ses clivages, raccourcis dans la pensée, de sa simplification des choses ou au contraire de sa volonté à trop détailler ; de sa difficulté à prendre des décisions ; de ses régressions infantiles ; de se sentir dans la confusion, ne pas pouvoir rendre compte avec les mots justes, les situations, les ressentis ; de son perfectionnisme, de vouloir être dans une cohérence, d’éviter les contradictions et de vivre les choses en différé. Tout cela a pu être mis en évidence dans la précision de ses compositions artistiques et Maud a pu, avec l’illustration concrète de ces attitudes exposer, nommer, expliquer et par l’échange avec le thérapeute, repenser l’automatisme, l’évitement, la dispersion

Relation communication : De là bien sûr, découle une prise de conscience du besoin de contrôle et du droit à se réattribuer une place ; s’ensuit une prise de conscience du besoin de remettre le corps et la parole en mouvement.

Expression : Ce travail en co-thérapie aura permis également le déblocage de certaines émotions ; Maud a pris de la distance par rapport aux événements et s’autorise à évoquer le traumatisme, à dédramatiser, à se déculpabiliser et donc travaille sur son identité de « non-coupable ». Elle dit avoir retrouvé l’accès à la rêverie, à l’imaginaire.

Socialisation : Trois points sont à noter dans la resocialisation de Maud : venir à tous les ateliers avec le groupe, sortir de chez soi et reprendre un emploi. Le dixième atelier a eu lieu le samedi 7 janvier 2016

– Maud a commencé un nouveau travail de garde d’enfant par l’intermédiaire d’une agence. Elle a fait valoir ses études de psychomotricienne. Elle réfléchit autour des enfants, car elle ne se voit pas faire de la garde d’enfants juste pour faire de la garde d’enfants ce qui ne serait pas intéressant et selon les valeurs de l’agence, elle essaye de retrouver doucement son domaine, la psychomotricité. Elle se rend compte que ça lui facilite certains réflexes, certains points de vue et observations. Maud écrit : “et puis mine de rien, je me resocialise, je vois plein de parents, je fais le trajet en RER… J’ai pris le livre : l’enfant sous terreur d’Alice Miller.

6 – Discussion

Étant donné que la participante est venue dans le cadre d’ateliers de victimes indirectes des attentats de Paris, amenée par la souffrance d’une proche, il conviendrait de l’écarter peu à peu de cet événement pour resserrer le cadre et le rendre plus personnel afin qu’elle recrée son espace intime et qu’elle trouve sa bonne distance avec sa famille.

La préparation d’ateliers ne garantit en aucun cas leur réussite. Maud et moi-même devons faire face aux imprévus, aux réactions personnelles qui peuvent même être étrangères à la participante. C’est pourquoi, nous nous sommes appliquées à faire un point après chaque séance, à rassembler nos impressions et nos besoins. Mais, il manque toujours du recul pour réinjecter dans la séance suivante ce que l’on vient d’apprendre et en tirer le meilleur parti. Il est donc évident qu’avec davantage de temps, certains points auraient eu besoin d’être affinés, certaines idées pertinentes auraient pu émerger plus tôt au bénéfice de Maud.

Étant donné le peu de temps qui nous a été alloué pour cette thérapie, nos objectifs n’ont pu être qu’à moitié réalisés sur 10 séances. Ceci, nous pousse à envisager une suite. Nous nous retrouverons une fois par semaine dans un atelier à Clichy et nous sommes tombées d’accord pour poursuivre sur un blogue : http://artherapievirtus.org/R-A-I-V-I/

L’absence de contact physique avec risque de perception d’intrusion y deviendra un avantage tant pour Maud que pour le thérapeute si nous voulons approfondir le travail sur la base de la vraie raison de sa venue aux ateliers. L’apport de photos, de vidéos, de bandes son, permet toutes les ouvertures artistiques et une communication hors langage bien loin d’un débriefing. L’hémisphère droit, siège de l’émotion peut alors suffire à l’échange.

Il permet dans ce même esprit de co-thérapie, tant au thérapeute qu’au patient de se retrouver, de se rassembler par la conservation des échanges et des créations qui bien souvent font l’objet de destruction de la part du sujet en souffrance suite à des besoins de faire disparaître la concrétisation de ce qui le hante. Il autorise ainsi l’illustration évidente d’une évolution positive, sauvegarde du moi car la dépendance à l’autre est vécue comme insupportable (Jeammet, 2000). La liberté que donne la libre expression sur le blogue permet de s’attacher à un travail quotidien qui éloigne la dépression et sans dépendance.

Une resocialisation est en route à travers cette communauté virtuelle, dans laquelle les échanges avec d’autres personnes victimes de viols par inceste est fructueuse.

Sources

Source et bibliographie : Thyma

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