L’évolution du traitement des traumatismes

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Bessel Van Der Kolk Partage Son Espoir Pour L’avenir Dans Ce Domaine

La plupart des gens pensent que le traitement des traumatismes a commencé vers 1980, lorsque le diagnostic du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) a été inclus pour la première fois dans le DSM à la suite d’un mouvement chez les anciens combattants du Vietnam. Mais l’on pourrait remonter bien au-delà d’un siècle, aux travaux de Charcot et Pierre Janet à la Salpêtrière à Paris. En fait, Janet, en particulier, a formulé la plupart des problématiques pertinentes sur le traumatisme qui sont redécouvertes aujourd’hui, comme continuellement revivre son traumatisme, se dissocier, avoir du mal à intégrer ses nouvelles expériences et à continuer à vivre sa vie. Janet a surtout eu recours à l’hypnose auprès de patients atteints de traumatismes et hospitalisés pour les aider à mettre fin à cette expérience. Mais son travail a été largement éclipsé par celui de Sigmund Freud, en partie parce que reconnaître pleinement l’impact dévastateur du traumatisme est trop lourd à porter tant pour les professionnels en santé mentale que pour les politiques. Par exemple, Freud et son mentor, Joseph Breuer, ont écrit des études remarquables sur la nature des traumatismes dans les années 1890, mais ils les ont ensuite désavouées car suggérer l’existence de l’inceste dans les familles bourgeoises à Vienne était trop troublant pour leurs collègues.

Depuis, le trauma n’a cessé de passer de la reconnaissance du rôle dévastateur à long terme qu’il peut avoir dans la vie des gens à la clandestinité face à la résistance à cette idée. L’horreur de la guerre des tranchées a conduit à une large reconnaissance des symptômes du choc des obus pendant la Première Guerre mondiale, mais en 1917, l’état-major britannique a publié un édit interdisant aux militaires d’utiliser le terme de choc, car ils pensaient que cela minerait le moral des soldats. La même chose s’est produite après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le monde a rapidement oublié le prix à payer pour envoyer de jeunes hommes (et maintenant des femmes) au combat. Pourtant, tous les symptômes dont les journaux parlent – les suicides, la toxicomanie, la violence familiale, les sans-abris et le chômage chronique – ont été bien documentés après chaque guerre dont on se souvient, dont la guerre civile américaine.

Toutefois, dans les années 1980, grâce au travail de nombreuses personnes comme Charles Figley, un Marins vétérinaire du Vietnam, qui a écrit un livre intitulé  »Trauma and Its Wake » et a lancé la Société Internationale pour l’Études du Stress Traumatique, la psychiatrie et la psychologie classiques ont porté un intérêt croissant au trauma. À cette époque, Judith Herman et moi avons commencé à étudier la relation entre le trouble de la personnalité limite, le comportement d’automutilation et les traumatismes et négligences vécus dans l’enfance de la part des personnes ayant autorité sur eux. Cependant, au début des années 1990, tout comme en 1902, 1917 et 1947, lorsque le mouvement de traumatologie a commencé à prendre de l’ampleur, il y a eu un contre-courant.

Cette fois-ci, c’est le mouvement du syndrome du faux souvenir qui a tenté de discréditer les témoignages d’abus que nos patients nous ont relatés, en les qualifiant de résultat de l’implantation systématique de faux souvenirs dans leur esprit par des thérapeutes. Une grande partie de ce mouvement a été encouragé par l’Église Catholique qui faisait face à d’innombrables accusations d’abus sexuels sur les enfants de la part de prêtres, mais aussi par des psychologues qui pouvaient bien gagner leur vie dans un cadre médico-légal en mettant en cause ces plaintes de victimes. Après que les actions en justice contre l’église aient été réglées, l’industrie du faux souvenir a disparu avec elle.

L’un des résultats de cette controverse fut que le domaine de la traumatologie se divisa en deux domaines de développement parallèles, le financement de la recherche étant essentiellement alloué aux militaires et aux anciens combattants. L’autre domaine de recherche – la violence et la négligence envers les enfants et les études sur les femmes – était sous-financé et donc incapable de réunir suffisamment d’études de qualité pour déterminer scientifiquement comment traiter au mieux cette population. Par conséquent, notre domaine est devenu celui des revendications passionnées, mais avec peu de preuves scientifiques tangibles.

Néanmoins, certaines évolutions clés (ou, plus précisément, dans la plupart des cas, des redécouvertes) ont fait progresser le traitement des traumatismes. L’une d’entre elles a été la conscience du rôle que joue la dissociation à la suite d’un traumatisme et de la façon dont, sous des formes diverses, le traitement doit aborder les structures personnelles qui peuvent se faire concurrence ou se compléter lorsqu’on est en état post-traumatique. Une autre avancée majeure a été l’émergence de l’EMDR dans les années 1990, la première approche qui a montré que nous n’avions pas besoin de nous servir de médicaments ou des thérapies traditionnelles pour que les victimes puissent laisser leurs souvenirs derrière elles. De même, la psychothérapie corporelle a constaté que  » le corps garde les séquelles » en matière de traumatismes et a redynamisé les approches somatiques, tels que la méthode Hakomi et la psychothérapie sensorimotrice pour aider les victimes à sortir du schéma combat / fuite / blocage.

Grâce au Neurofeedback, nous explorons la capacité de reconfigurer des cerveaux enfermés dans l’immobilisme et la terreur, et nos premières études publiées sur ce processus montrent comment les enfants et adultes traumatisés peuvent apprendre à changer la façon dont leur cerveau se régule. Nous avons redécouvert que le vrai changement s’opère mieux lorsque l’esprit est ouvert. La pleine conscience permet aux gens de devenir attentifs à leur corps et peut leur permettre de se sentir en sécurité. En fait, notre recherche financée par le NIMH montre que le yoga semble plus efficace que tout autre médicament pour traiter le SSPT.

Être capable d’être conscient est une condition préalable nécessaire au changement. Les hypnothérapeutes savent depuis longtemps que le fait de mettre les gens en état de transe peut faciliter l’intégration du traumatisme dans leur conscience globale. Plus récemment, les Systèmes Familiaux Internes et les approches qui utilisent des psychotropes comme la MDMA ont démontré comment amener les gens dans des états de conscience altérés où ils peuvent réellement s’observer et développer un sens d’auto-compassion qui leur permet d’intégrer leur moi dissocié du passé dans un état de calme mental dans le présent.

Pendant tout ce temps, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) a recueilli le plus de soutien à la recherche, même si nous savons que toute la partie cognitive du cerveau s’arrête lorsque les gens sont traumatisés, ce qui déclenche sa partie primitive de survie. Donc, utiliser la TCC avec le traumatisme, c’est comme dire à quelqu’un qui a une jambe amputée de se mettre à la course. Cela peut certainement donner aux gens un sens de la perspective sur leurs options d’adaptation lorsqu’ils sont dans un bon état d’esprit, mais cela a une valeur limitée en cas de traumatisme grave.

L’approche TCC la plus couramment utilisée pour traiter les traumatismes est la thérapie d’exposition, qui suppose que la désensibilisation d’une personne aux déclencheurs antérieurs est la meilleure façon de l’aider à être moins affectée par ses souvenirs. Le problème, c’est que la désensibilisation mène à un manque global de sentiments et d’engagement, donc quand vous êtes désensibilisé par votre traumatisme, vous êtes aussi désensibilisé à la joie, au plaisir, à l’engagement et à tout le reste. Désensibiliser les gens ne devrait pas être le but du traitement : nous devrions plutôt les aider à réaliser que oui, cela m’est arrivé il y a des années, mais pas aujourd’hui ; aujourd’hui est un jour différent et je ne suis plus la personne que j’étais à ce moment-là. Ce type d’intégration implique un réseau neuronal différent du réseau neuronal de désensibilisation.

Mon espoir pour le traitement des traumatismes, c’est que nous apprenions à aider les gens à mettre leur imagination au service de leurs possibles. Par exemple, je participe à plusieurs programmes de théâtre pour les enfants à risque élevé, afin qu’ils puissent faire l’expérience de ce que cela fait d’être une autre personne. Ils ont l’occasion de dire :  » Oh, c’est ça que ressent un puissant Général « , plutôt que  » Personne ne m’aime, tout le monde me déteste, on va me faire du mal « .

Je pense que le théâtre et les nouvelles techniques, comme le Neurofeedback, peuvent jouer un rôle important pour calmer le cerveau et l’aider à devenir organisé et plus en contact avec le corps. Dans notre culture, nous dépendons trop souvent de l’alcool et de la drogue pour nous sentir mieux. La contribution la plus importante que le monde de la thérapie, y compris la traumatologie, peut apporter au plus grand nombre est de donner aux gens un meilleur accès à leur système inné d’autorégulation – la façon dont ils se déplacent, respirent, chantent, interagissent avec les autres – pour leur faire découvrir leurs ressources d’auto-régulation de manière différente, notamment lorsque leur existence se complique.

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