les fêtes de famille avec l’agresseur

Tu es si forte.

C’est la réaction que suscite souvent chez les gens le fait que j’ai vécu des années d’agressions sexuelles pendant mon enfance et que j’ai en quelque sorte survécu. Et à bien des égards, je suis forte. J’ai survécu. C’est miraculeux et cela témoigne de ma volonté de ne pas me laisser vaincre par les effroyables agissements de cet autre.

J’ai surmonté beaucoup de ces agissements.

L’autre jour, j’étais chez le nutritionniste. Nous ne parlons généralement de ma santé mentale que dans le contexte de ma relation à la nourriture, mais comme j’ai été récemment hospitalisée pour des soins psychiatriques, il a creusé plus avant dans le psyché que d’habitude. Il n’arrêtait pas de dire que je pouvais lui parler de ce qui s’était passé et des raisons pour lesquelles je sentais que je devais faire appel ces soins supplémentaires – étant donné que je vois déjà un psychologue une fois par semaine, un psychiatre tous les deux mois et un nutritionniste tous les mois, on pourrait penser que mon état émotionnel et mental est suffisamment bien pris en charge.

Je lui en ai dit un peu plus parce qu’il semblait vouloir sincèrement en parler.

Je lui ai dit à quel point j’avais peur lorsque j’étais intimidée par certaines personnes, du fait que j’avais toujours pensé que seuls des partenaires violents pourraient m’intimider de cette façon. J’ai découvert, le soir où je suis allée à l’hôpital, que ce n’est pas le cas. Les gens peuvent vous faire du mal, peu importe la panoplie de moyens mis en œuvre pour se protéger des agressions.

Je cherche à me protéger depuis l’enfance.

Et voilà. La confession inévitable de « l’enfance ». Le « choc » qui atteint systématiquement les gens au plus profond d’eux-mêmes. Puis j’ai expliqué que mon passé familial était fait d’agressions sexuelles chroniques, sévères, qui ont duré des années et qui ont formé un nuage noir au-dessus de nous depuis des décennies. Et que, pendant les prochaines fêtes, j’allais devoir expliquer qu’il fallait que je rentre plus tôt que prévu pour suivre une thérapie, sans toutefois dire que je ne pensais pas être capable de supporter longtemps le fait d’être confrontée à mon agresseur. Je vis trop de traumatismes à l’heure actuelle pour en plus devoir faire face aux traumatismes passés.

C’est à ce moment que j’ai réalisé avec force et ahurissement que j’ai permis à la personne qui a ruiné ma vie et ainsi provoqué mon trouble de stress post-traumatique complexe (TSPT C), tout en compliquant chaque relation pour le reste de mon existence, d’être dans ma vie.

C’est aussi le moment où je me suis sentie coupable de m’être entendue dire que c’était extraordinaire, ou que j’étais forte.

Ce n’est pas de la force. C’est de la faiblesse.

Je n’ose pas faire éclater ma famille plus qu’elle ne l’est déjà. Je ne veux pas être la « méchante », le mouton noir, ni le bouc émissaire, pas plus que je ne le suis déjà. Je ne veux pas qu’on me reproche de nous avoir éloignés, de rendre les choses difficiles, d’être  » trop gâtée  » et pas assez  » indulgente « . Je n’ai pas la force de mettre en place la limite la plus importante de ma vie. Je n’ai pas le courage de dire à mon agresseur qu’il ne peut pas faire partie de ma vie. Et ce parce que nous sommes de la même famille.

On dit que les liens du sang sont plus forts que tout. Je n’y crois pas. J’ai bien souvent reçu plus d’amour et de soutien de la part de personnes sans liens de parenté que de la part de ma famille. Mon père, ma fille et ma nièce, deux cousins, une tante – ils sont bienveillants et attentionnés, généreux, compatissants et aimants. Mais le reste de ma famille se fiche pas mal que mon sang coule ou non. J’ai traversé diverses épreuves avec peu ou pas de soutien de la part de mes proches, tandis que des inconnus, des amis, des collègues de travail et des voisins m’ont offert toutes sortes d’amour, de ressources et de soins. Mais même si je sais que beaucoup de membres de ma famille sont insensibles ou abusifs, il est difficile de rompre les liens.

Pourquoi nous enseigne-t-on que la famille est tout ce qui compte ? Pourquoi nous dit-on que les liens du sang sont plus forts ? Est-il vraiment exact ou légitime que la famille passe avant tout ? Ma situation est-elle juste une aberration là où les familles sont  »normalement » saines, justes et solidaires ?

Les milliers d’histoires que j’ai entendu au fil des ans ne confortent pas que je suis une exception. Malheureusement, de nombreuses familles semblent manquer de compassion et de générosité. Et beaucoup d’entre nous souffrent aux mains d’une ou plusieurs personnes de notre entourage.

Et il semble que la limite la plus difficile à poser pour nombre d’entre nous – et non seulement moi – est de dire à un membre de la famille qu’il ne peut plus vous faire souffrir.

Je lisais aujourd’hui dans le livre  » Self-Compassion  » de Kristin Neff, l’importance de reconnaître notre interdépendance inhérente. Parfois, nous ne fixons pas ces limites essentielles, parce que nous voulons nous sentir connectés. Mais selon K.Neff, nous sommes connectés du simple fait que nous sommes humains. Nous faisons partie de l’humanité et nous sommes tous connectés par le simple fait d’exister.

C’est un vaste concept à assimiler, et difficile à retenir, mais je pense que c’est une vérité fondamentale que nous devons apprendre à reconnaître chaque jour. Nous sommes connectés par le simple fait d’exister. Donc, nous n’avons pas besoin de nous accrocher à la croyance erronée que le sang est le lien le plus fort, car les êtres humains sont tous faits de sang et d’eau. Ce sont leurs agissements à notre égard qui nous permettent de décider si nous préférons avoir une relation proche avec eux ou si nous devons fixer des limites, et non pas leur lien de parenté avec nous. Nous sommes liés par l’existence. Nous sommes reliés par notre humanité.

Les personnes qui vous traitent comme moins que rien, ou inférieures à elles, n’ont pas un lien bienséant avec vous. Peu importe si ces personnes sont votre parent, votre frère ou votre sœur, votre enfant ou un parfait inconnu dans la rue. Une limite est absolument nécessaire – même si vous ne devez plus jamais revoir cette personne, en fonction des circonstances.

 » Avez-vous parfois envie de tout dévoiler au grand jour ?  » Mon nutritionniste se questionnait sur la problématique de ma famille et des agressions qui nous empêchent d’avoir une chance de nous rapprocher.

Oui.

Tout le temps.

Mais je suis la  » mauvaise personne  » si j’en parle. Tous les autres veulent garder le secret, ne pas y faire face et ne pas en parler. Et ça me blesse. Je ne sais pas combien de temps je continuerai à les laisser me faire du mal, car je sais aussi que l’alternative est de ne plus voir ma famille. Un jour, ils me forceront à faire ce choix. Soit ils accepteront la vérité, soit je dresserai une limite ultime et je ne les reverrai plus. Parce que le chaos qu’ils ont mis dans notre passé affecte mon présent, et probablement mon avenir.

« Votre vie est en fait une série de réparations de dégâts que d’autres ont causés pour vous », a été l’une de ses dernières remarques.

Il avait raison. Et alors que je rentrais chez moi après ce rendez-vous, armée de stratégies pour composer avec la nourriture tout en faisant face à un traumatisme aigu, je ne pouvais m’empêcher de penser à ces dégâts et à ces autres. Combien de temps est-ce que j’allais laisser ces gens me faire souffrir ? Comment est-ce que j’allais me protéger des menaces actuelles ? Jusqu’où est-ce que je laisserais le stress que ma famille place sur moi agir en déclencheur ? Est-ce que j’allais cesser de les voir ? Quand et comment le faire ?

Ce n’est pas ce que je veux – cesser d’avoir des contacts avec ma famille. Mais cela se révèle être une chose dont j’ai de plus en plus besoin. Afin de trouver la meilleure et la plus forte version de moi-même, je devrai peut-être m’affranchir de leur approbation et de leur affection, et me satisfaire des liens que j’ai avec le reste de l’humanité, et être soutenue par les personnes qui sont véritablement à mes côtés et qui veillent à mon bien-être.

Ma famille place ses besoins bien au-dessus des miens. Maintenir le secret depuis plus de 40 ans leur est bien plus important que ma santé mentale actuelle.

Et ça, ça ne va pas.

Je commence à comprendre que ce n’est pas normal. Je commence à réaliser que m’aimer signifie comprendre à quel point ce n’est pas normal, et accepter que ma vie est plus importante que leur fierté.

Et si ce n’est pas le cas…

Si ce n’est pas le cas, ils n’ont pas leur place dans ma vie. Et j’ai besoin de trouver la force de le dire.

Je suis forte.

Et lorsque le moment sera venu – si ce moment vient – je trouverai la force nécessaire pour faire ce qu’il y a de mieux pour ma santé mentale et physique. Je fixerai les limites nécessaires pour me protéger et me sentir bien. Je trouverai la même compassion envers moi-même que celle que j’ai donnée à ma famille, et je commencerai à me traiter comme leur égale, peu importe comment ils me traitent.

Au besoin, je trouverai la force de cesser de voir mon agresseur pendant les fêtes. Et je vous souhaite à tous d’avoir la force de faire de même – de trouver votre force, de connaître votre valeur, de reconnaître vos liens, d’être compatissant envers vous-même et de vous fixer des limites saines.

Vous êtes forts. Vous pouvez le faire.

Joyeuses Fêtes !

Traduit par courtoisie depuis The Mighty

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